mardi 26 février 2013

Qatar : poker menteur chez Areva



Voilà un bonus à l'enquête que j'ai menée pour Marianne sur les investissements du Qatar en France, et publiée début janvier qu'on peut trouver ici (l'article principal co-écrit avec Philippe Cohen), ici (sur le Qatar et les banlieues), et là (sur l'offensive audiovisuelle contre Canal+).

J'aurais dû "vendre" ce bonus à un autre journal ou un site, mais vu la non actualité du sujet, la sensibilité du dossier, et le peu de temps que j'ai en ce moment sur d'autres enquêtes, je préfère le publier en l'état ici, plutôt que de monnayer quelques euros. 2013, saison de la grande braderie de la presse. Donc à vous de faire tourner ce papier, et peut-être qu'il sera récupéré par Rue89 ! Qui sait !


Nicolas Sarkozy a poussé pour que le Qatar investisse dans Areva, puis dans les mines d’uranium du groupe nucléaire, une activité pour le moins stratégique. Retour sur un épisode émaillé de chausses trappes.

L’histoire commence en 2004. À cette époque, le groupe nucléaire Areva, alors dirigé par Anne Lauvergeon, l’ex-sherpa de François Mitterrand, recherche des financements pour assurer ses lourds investissements. Une augmentation de capital est actée par les pouvoirs publics : 15 % du groupe nucléaire doit être alloué à des investisseurs extérieurs. Il faut attendre l’été 2010 pour que tout s’accélère. En effet, sans même demander l’avis d’Areva, et sans organiser un réel processus d’appel à candidatures, le président Sarkozy pré-sélectionne deux fonds souverains du Golfe, le KIA (The Kuwait Investment Authority), et le QIA (The Qatar Investment Authority), pour investir dans le groupe nucléaire. Le partenaire historique, le japonais Mitsubishi, est sèchement écarté. 

Un banquier d'affaires et ancien patron d'EDF 

Pressé par le pouvoir, Areva entame alors les négociations avec les Qatariens qui sont conseillés par le Crédit Suisse (lequel leur appartient à la hauteur de 10 %), et dont le vice-président en Europe n’est autre que François Roussely, président d’honneur d’EDF, et chargé au même moment par l’Élysée de rendre un rapport… sur l’avenir de la filière française du nucléaire civil ! Voilà ce qui arrive quand on choisit un banquier d’affaires, accessoirement ancien patron d’EDF et proche conseiller des Qatariens, pour une mission sur le nucléaire. Mais ce n’est pas le seul élément surprenant dans cette histoire, ni le dernier rebondissement. En effet, à la rentrée 2010, Gérald Arbola, directeur général délégué d’Areva apprend par la bouche de François Roussely que les Qatariens refusent finalement de devenir actionnaires d’Areva… Seul les Koweitiens investissent alors dans Areva pour 600 millions d’euros. Loin des 3 milliards attendus par le groupe. À ne rien n’y comprendre. 

L'Élysée à la manoeuvre

En réalité, selon nos informations, au même moment, un émissaire de l’Élysée a soufflé aux Qatariens que c’était la présidente d’Areva, Anne Lauvergeon, qui ne souhaitait pas qu’ils investissent – ce qui était faux : « Si on avait voulu planter l’augmentation de capital d’Areva et fragiliser Anne Lauvergeon et son groupgve, on ne se serait pas pris autrement », affirme une source proche du dossier. C’est bien l’Élysée qui fut à la manœuvre, conseillant, dans un second temps, aux Qatariens d’investir dans les mines d’uranium d’Areva, une activité pour le moins stratégique ! Pour que l’opération devienne possible, l’Élysée somme alors Areva de filialiser ses activités minières… Le dossier est suivi par Jean-Dominique Comolli, qui a été nommé à la tête de l’Agence des participations de l’État en août 2010, et par Claude Guéant en personne, le secrétaire général de l’Élysée. 

 Une filialisation interrompue avant la présidentielle

Car au « Château », François Roussely et Henri Proglio, le PDG d’EDF, aidés d’Alexandre Djouhri, ont l’écoute et le soutien du président Sarkozy. Quelques mois plus tôt, François Roussely avait préconisé une telle filialisation dans son rapport : « Areva pourrait apporter ses actifs miniers d'uranium à une société ad hoc dont elle conserverait la majorité et assurerait la gestion ; les autres actionnaires pourraient être des clients ». Les mines représentent 14 % du chiffre d'affaires d'Areva qui occupe la place de numéro 1 mondial des producteurs d'uranium avec 16 % de parts de marché. Selon l’enquête de Pierre Péan (1), l’enjeu masqué de ce militantisme pro-Qatar pourrait bien être, comme dans d’autres opérations capitalistiques de ce type, l’aménagement de commissions d’agents pour les intermédiaires et d’éventuelles retro-commissions.
Anne Lauvergeon s’opposait à une telle filialisation, qui préfigurait un démantèlement de son groupe (au profit d’EDF), un dessein contre lequel elle s’est toujours battue jusqu’à ce qu’elle soit débarquée par l’Élysée en juin 2011. Areva renoncera finalement à un tel projet six semaines avant l’élection présidentielle.

Marc Endeweld

(1) Voir La République des mallettes, par Pierre Péan, Fayard, 2011.