dimanche 11 septembre 2011

Le vélo d'appartement d'Arnaud



Ça y est, Arnaud Lagardère, fils de Jean-Luc, l’avoue, la vidéo qui a buzzé tout l’été où on le voit accompagné de sa douce et tendre Jade est « ridicule ». Cette vidéo, vous pouvez la (re)voir ici. « Je peux la résumer par un seul adjectif : ridicule », confessait-t-il, mardi dernier, au très sérieux quotidien économique Les Echos sous forme de rétropédalage de communication, sur fond de… résultats financiers médiocres. Car le fils Lagardère est aux mains du groupe éponyme, rassemblant tout de même quelques médias et éditeurs d’importance dans notre pays (Europe 1, Le Journal du Dimanche, Paris Match, Elle, Hachette…), et participant à l’aventure EADS (Airbus et quelques armes volantes…).

Cela fait des années que le tout Paris se demande si Arnaud L. est bien le digne héritier de son père, depuis la mort impromptue de ce dernier en mars 2003. Aux Echos, le fils chéri, dont la famille pèse tout de même 345 millions d’euros selon Challenges, a des trémolos dans sa voix : « Je vis avec et pour mon groupe depuis ma plus tendre enfance. Ça a toujours été ma passion. J’ai personnellement investi dans cette entreprise tout ce que je possède (…). Peut-être suis-je un patron atypique, différent, et alors ? Être heureux dans sa vie privée est certainement une source d’équilibre pour un chef d’entreprise. Cela n’empêche pas, bien au contraire, d’être entièrement dédié et dévoué à ce groupe que j’aime plus que tout ». Avouez, c’est beau, non ?


On se croirait chez Conforama
 

On reviendra un peu plus loin sur la remarque suivante du patron Lagardère : « J’ai personnellement investi dans cette entreprise tout ce que je possède ». Mais, pour l’instant, restons dans la mièvrerie version soap opéra. Et que découvre-t-on dans cette vidéo ? De faux french kisses. Un maître des lieux passablement gêné devant l’objectif des photographes – Jade étant là pour essuyer les lèvres de son chéri un peu trop chargées en salive. Mais on aperçoit aussi, une grande bâtisse, sa maison de Rambouillet pour le week-end. Avec une décoration d’un goût exquis : un pouf animal, des murs en crépis, et un incongru vélo d’appartement en arrière plan. On se croirait chez Conforama. Peut-être garde-t-il ses trésors pour sa maison parisienne située dans le 16e arrondissement de Paris à la Villa de Montmorency, ce ghetto de riches, digne des plus luxueuses gated communities américaines, où il retrouve ses « chers » voisins.

À l’image de son « frère » Sarkozy – pour reprendre le qualificatif qu’Arnaud avait employé il y a quelques années pour parler du futur Président de la République – l’héritier Lagardère est bien le digne représentant de la droite bling bling, mélange de patrimoine et de beaufitude assumée, piquée aux nouveaux riches. Le symbole de la nécrose du capitalisme à la française, un capitalisme d’État faisant la part belle aux groupes oligopolistiques aux mains de quelques familles et hiérarques de la République, ayant depuis longtemps délaissés l’intérêt général pour leurs profits personnels. Mais la presse du grand capital préfère applaudir l’ex-gourou d’Apple, Steve Jobs, et louer sa « créativité »
 

Un coming out à l’envers


Suite à la vidéo avec Jade, bien peu ont rappelé que ce n’était pas la première fois qu’Arnaud Lagardère ressentait le besoin de dévoiler sa « vie privée » au grand public. Le 17 décembre 2009, sur le plateau du Grand Journal de Michel Denisot sur Canal + (notons au passage qu’à l’époque Lagardère détenait 20 % de la chaîne cryptée), le patron semblait déjà en avoir gros sur la patate en déclarant tout en finesse : « et je voudrais quand même rectifier une chose parce qu’on l’a beaucoup dit, et puis, c’est la première fois que j’ai Richard [Gasquet] à côté de moi, je n’ai jamais couché avec Richard ». Pourquoi cette précision d’importance, pourquoi ce coming out à l’envers ?

Parce que la rumeur parisienne depuis des années enfle autour de l’homosexualité supposée de l’héritier Lagardère… « Quelle honte ! », semblent penser le principal intéressé et son ami Richard, lesquels enfilent lors de cette séquence culte des remarques un poil homophobes, au milieu des sourires bright. Arnaud parle ainsi de « poisse » autour de son poulain (ce dernier fait partie du team sportif Lagardère). « Drogué et homosexuel à 23 ans, effectivement, c’est dur », embraye alors Richard, paraît-il « champion » de tennis.

« C’est pour lui que je le dis, moi ça ne changera plus grand chose, c’est pour lui, c’est désagréable », souffle alors sur le ton de la confidence le patron médiatique. Et Richard d’enchaîner : « j’ai eu beaucoup de choses, c’est vrai que je suis assez jeune, mais homosexuel avec Arnaud, bon il m’attire pas trop, c’est un bon ami mais… ». Et pour que tout soit très clair, Arnaud répète – deux fois – « Et réciproque ! Et c’est réciproque ! » Comme pour mieux se rassurer ?


Un père capitaine d’industrie…



Quand on regarde toutes ces images, on est pris de vertige. L’étalage du vide est manifeste. On brasse de l’air. Images futiles pour égo trip. On se croirait dans le feuilleton Beverly Hills, où des enfants gâtés profitent des piscines de leurs parents à deux pas de l’océan pacifique à Los Angeles. Le niveau est digne d’un bal de fin d’années High School. C’est pas moi, c’est l’autre.

Le parallèle avec le paternel s’impose. À son époque, Jean-Luc était loué par une bonne partie de la presse qui aimait relater ses succès ou ses échecs industriels. Jean-Luc Lagardère était une figure, un capitaine d’industrie, qui, contrairement, à son ennemi Francis Bouygues, était sensible aux arts et aux lettres, comme s’en fécilite aujourd’hui un écrivain ex-employé au sein du groupe… Lagardère. Dans un pays comme la France, cette appétence pour la culture fonctionne comme une vraie circonstance atténuante pour n’importe quel grand patron. D’un coup, pour une partie de la gauche, cet homme apparaît moins menaçant. On préfère Lagardère à TF1. Car Lagardère, c’est tout de même Hachette. Une grande maison, non ? Un éditeur !

Si l’on remonte à 1987, lors de la fameuse privatisation de TF1 décidée par le gouvernement de droite de Jacques Chirac, c’est ainsi que les journalistes Christine Ockrent et Étienne Mougeotte vont tenter – sans succès – d’apporter leur « crédibilité » professionnelle au dossier Lagardère face à l’équipe de Bouygues aux dents longues, comme nous le montre un reportage de l’époque. Mougeotte sera ensuite chassé par le bétonneur qui en fera le numéro 2 de TF1…  comme le rappellent, avec de nombreux détails, Pierre Péan et Christophe Nick dans leur grande enquête TF1, un pouvoir, publiée en 1997 chez Fayard.

Cet épisode de la privatisation sera également décortiqué par deux anciens journalistes de Libération, Philippe Kieffer et Marie-Eve Chamard, dans un autre livre-enquête, devenu culte (La Télé. Dix ans d’histoires secrètes. Flammarion, 1992). Pour la petite histoire, dans le milieu de la télé, ces deux-là étaient surnommés chimère et cafard, avant de devenir eux-mêmes producteurs de télé… À partir de leur livre, ils vont réaliser un documentaire sur les batailles homériques qui ont eu lieu dans l’audiovisuel en France dans les années 1980.

On peut en trouver certains extraits importants sur internet, comme la préparation du groupe Bouygues pour mettre la main sur TF1, la défaite de Lagardère lors de la privatisation de la première chaîne, mais également les débuts de la Cinq avec Berlusconi, et ses déboires. C’était l’époque où chaque groupe industriel essayait de se partager le « ciel français ». On en était encore à la diffusion hertzienne classique. Les images étaient rares. La raison d’État et les intérêts privés s’exprimaient avec force, souvent avec de nombreuses frictions.



… Un fils, pur produit du capitalisme financier



Vingt ans plus tard, tout a changé. Le PAF (Paysage audiovisuel français) de papa est en train de mourir, concurrencé par l’Internet, les opérateurs télécom et les géants mondiaux de l’informatique et de la communication, tels Apple ou Google. Finalement, c’est comme si le pouvoir se jouait à une autre échelle. Le vrai combat se déroule ailleurs, l’enjeu se situe dans la maîtrise de notre monde globalisé. Dans ce contexte, la France est véritablement en mauvaise posture, avec une industrie culturelle en perte de vitesse. Finalement les hiérarques de la culture et de la communication, en manque de projets et de vision industrielle, sont le symbole de cette décadence.

Au delà des effets d’image et des petites polémiques, les échecs de ces dernières années d’Arnaud Lagardère dans les médias expriment bien ce malaise latent. D’autant que le tycoon est le pur produit de son époque, celle du capitalisme financier. Sur le fond, la dernière interview des Echos est éclairante. Le patron reconnaît que son groupe a loupé l’enjeu du numérique : « Dans notre groupe, il y avait une culture historique du papier tellement ancrée qu’il a été difficile de prendre immédiatement le virage du digital. C’est clairement une déception ». 


Et si Arnaud Lagardère explique que le cash généré par la cession des magazines internationaux du groupe sera réinvesti dans les « quatre branches », l’homme n’hésite pas à préciser ses priorités de cette manière : « Mais je pense aussi aux intérêts de nos actionnaires. Vu le contexte dégradé, je réfléchis à deux options possibles. Le groupe Lagardère envisage soit un rachat d’actions, soit une distribution de dividendes exceptionnels. Il faut récompenser la fidélité des actionnaires qui nous soutiennent ». Bref, en guise de stratégie, une gestion patrimoniale et des cadeaux aux actionnaires. Ce qui n’empêche nullement le MEDEF de louer la capacité des patrons à prendre des risques, tout en culpabilisant les salariés, qui eux, bien sûr, sont incapables d’en faire autant !


Sarko pas content, EADS sans gouvernail ?


L’ironie de l’histoire veut que le président de la République lui-même, ait trouvé ridicule la vidéo Arnaud-Jade. (Dans ce registre, il est pourtant devenu un expert au cours de son mandat…). C’est Le Canard Enchaîné qui dévoile les commentaires présidentiels dans son édition du 3 août : « Arnaud est vraiment un idiot de s’être livré à cette mise en scène. Cette vidéo est un suicide public (…) Cette histoire est bien triste, je suis triste pour lui et triste pour la mémoire de son père ». 


Et comme le relate l’hebdomadaire, Sarkozy n’a pas apprécié que la mère de Jade explique à la presse qu’il aurait téléphoné à « Arnaud » pour lui faire part de son soutien : « Non seulement Arnaud a fait la connerie de s’afficher de cette façon-là avec cette fille, mais, en plus, il ne contrôle pas sa mère, qui parle à tort et à travers. Je n’ai pas parlé à Arnaud au téléphone depuis très longtemps. S’il m’avait demandé mon avis sur ce clip, je lui aurais dit que c’était une idée grotesque. Mais je suis le président de la République, pas conseiller en image pour patron du CAC 40 pris par le démon de midi. Il s’est mis tout seul dans la mouise, il n’a qu’à s’en sortir tout seul ».

Car Nicolas Sarkozy a une autre inquiétude : EADS. Suite à un accord franco-allemand signé en 2007, il est prévu qu’un Français succède à un Allemand à la présidence du conseil d’administration d’EADS l’an prochain… En l’occurrence, Arnaud Lagardère. Mais là, on ne parle pas du show-biz ou des paillettes médiatiques, mais d’une industrie aéronautique et militaire pour le moins sensible. Et, en off, personne à Paris ou à Berlin ne croit au sérieux de ce patron « atypique » pour reprendre le terme dont il s’est affublé dans l’interview des Echos.


L'opacité de la « pieuvre verte »


Sans compter que le 2 août dernier, l’investisseur franco-américain Guy Wyser-Pratte qui avait déjà tenté, en vain, en 2010 un putch financier contre Arnaud Lagardère, est de nouveau passé à l’offensive. Pour le meilleur effet, l’hebdomadaire anglais The Economist qualifiait ainsi la fameuse vidéo « d’embarrassante ». Mais Arnaud tient bon, lui qui profite du « système de commandite » mis en place par son père en 1994. Un système qui permet à Arnaud Lagardère de garder le contrôle de son empire quand il n’en possède en propre que 9,6% des actions. Mais dans ce dispositif, l'héritier de Jean-Luc est responsable sur ses biens propres d’éventuelles pertes de la société. D’où ses jérémiades précédentes : « J’ai personnellement investi dans cette entreprise tout ce que je possède ».

Tout cela alors qu’Arnaud Lagardère a annoncé son intention de se désengager d’EADS d’ici le début 2013…

Mais on n’en saura pas plus. Les médias français ont le plus grand mal dès qu’il s’agit d’enquêter sur le groupe Lagardère. Et ce, alors que ce dernier fut ces dernières années au cœur de l’actualité politico-médiatique : affaire Clearstream 2, soutien passé d’Arnaud à Sarko, licenciement du patron de Paris-Match pour faire plaisir à l’Élysée, rumeurs au printemps 2010 sur le couple Carla-Nicolas, mais aussi, proximité entre Dominique Strauss-Kahn et Ramzy Khiroun, responsable de communication du groupe Lagardère… Décidément, la « pieuvre verte », surnom donné à l’empire Hachette, n’est pas prête à perdre son caractère pour le moins opaque.

2 commentaires:

  1. Excellent portrait . Comme casserole d'Arnaud , il manque tout de même le soupçon de délit d'initié dans l'affaire EADS, couvert par sarko .

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  2. Les suites du dossier délit d'initié / EADS : http://www.liberation.fr/economie/01012316761-delit-d-inities-a-eads-le-groupe-lagardere-mis-en-examen

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